De GULBENKIAN à STALINE ( II ) , l'odeur du soufre dans les Musées du Monde

De GULBENKIAN à STALINE ( II ) , l'odeur du soufre dans les Musées du Monde


 

Cette histoire des achats par Gulbenkian des chefs d’œuvre du Musée de l’Ermitage me tarabuste  .

( voir article précédent ).

 

 

12Ox18O - janvier 2008

 120 x 18O - huile s/toile - JVL - janvier 2008

Essayons de résumer,  sur base essentielle de   l’étude citée  précédemment d’  Elena A. Osokina *  parue dans  Cahiers du monde russe, 41/1:

 

1/ Le Plan quinquennal de Staline avait prévu que le financement de l’industrialisation de l’URSS se ferait notamment par la vente massive d’antiquités et d’objets d’art ( en réalité, il semble que la vente à l'étranger des trésors russes  n'aient pas attendu Staline puisqu'elles ont été  entreprises dés l'arrivée des Bolcheviks ).

A ce stade, et même encore en 1928,  il n’entrait pas dans l’intention de l’Etat de se défaire des chefs d’œuvre de ses Musées : Le projet du

VneÒtorg

fut approuvé par le

Sovnarkom

et le STO

de l.URSS le 23 janvier 1928 avec une modification interdisant la vente « d.objets

d.art et d.antiquités provenant des principales collections des musées ». .

 

2/ Calouste Gulbenkian va mettre la situation à profit pour franchir ce pas en demandant aux autorités de l’Antiquariat à pouvoir acheter des tableaux se trouvant au Musée de l’Ermitage.

Dans l’ambiance délétère qui prévaut alors  ( que Rembrandt aille se faire voir, déclarait un membre du politburo, tandis qu’un autre, dans un rapport adressé à l’antiquariat depuis Paris,  confondait Van Dyck et Van Eyck, les nommant indistinctement car il ne s’était pas rendu compte qu’il s’agissait de peintres diffréents…), Gulbenkian n’eut guère de mal à convaincre les autorités soviétiques à vendre les œuvres de l’Ermitage.

Les Soviétiques tenaient en effet  en Gulbenkian une personnalité de choix : non seulement, en tant qu’amateur d’art passionné, il disposait de moyens énormes pour procéder à des achats importants, mais en plus les Soviétiques comptaient sur son entregent pour leur faciliter l’accès au marché international des produits pétroliers et accréditer certains arrangements financiers internationaux.

Gulbenkian aurait ainsi, par l’initiative qu’il provoqua, la responsabilité de la mise en vente des chefs d’œuvre de l’Ermitage, initiative dont il profita le premier, et  qui profita ensuite à d’autres amateurs.

3/ Gulbenkian revendiqua et obtint, pendant  un temps,  d’être le seul à pouvoir  négocier les achats des toiles de l’Ermitage ; certains dirigeants soviétiques regrettaient cette situation et auraient préféré le mettre en concurrence avec d’autres acheteurs qui commençaient à se manifester car ,  rapidement semble-t-il,  des fuites survinrent et l’on c ommença à apprendre l’existence de ce marché ( des amateurs américains notamment en la personne de  Andrew Mellon, qui achètera  un peu plus tard au moins 21 toiles de l’Ermitage, mais aussi, notamment,  la Galerie Berlinoise Mathiesen qui devint elle aussi cliente des soviétiques ) .

 

 

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4/ Gulbenkian  négocia âprement le prix des toiles, dans le contexte politique  et économique que l’on sait ( les soviétiques liant apparemment l’aide qu’ils espéraient obtenir de Gulbenkian  dans l’exploitation du pétrole et  dans certains financements internationaux  à certaines facilités pour obtenir certains tableaux de l’Ermitage ( op.cit. – p.29 ), mais il est clair – c’est mon commentaire personnel, qu’il  acquit toutes ces œuvres  pour lui-même  et certainement pas  dans le cadre d’un legs futur  à l’Etat portugais…

C’est donc en tant que collectionneur privé que Gulbenkian procéda à ces achats, certains documents nous apprenant par ailleurs qu’il lui arriva de revendre  à d’autres certains tableaux achetés dans le cadre de ces marchés…

5/ Gulbenkian ne pouvait pas ne pas savoir que sur un plan éthique de tels achats étaient condamnables.
L’apparence de légitimité que lui donnait la qualité des vendeurs (  les responsables politiques de l’Antiqvariat ) ne suffisait  évidemment pas, cela tombe sous le sens, pour justifier l’opération.

Quelle serait aujourd’hui la réaction de l’opinion publique internationale si un chef d’Etat autorisait la vente à un collectionneur particulier de tels chefs d’œuvre contenus dans un de ses Musées ???  La chose paraît aujourd’hui proprement impensable.

Certes, les mentalités ont évolué, la conscience collective de la notion de patrimoine de l’humanité s’est développée et fait à présent partie de notre culture mais Gulbenkian n’ignorait pas que de telles œuvres devaient être considérées comme inaliénables, hors commerce.

 

Il  le  savait si bien qu’il l’écrivit explicitement aux autorités soviétiques , une fois obtenues les œuvres qu’il  avait convoitées. Cette lettre, d’une rare hypocrisie, est reproduite dans mon article précédent, tiré de l’étude précitée d’  Elena A. Osokina  parue  dans  Cahiers du monde russe, 41/1 :  

        « ... Vous savez que j.ai toujours estimé que des objets qui sont longtemps restés

dans les collections de vos musées ne devaient pas être vendus. Ils font non

seulement partie du patrimoine national, mais ils représentent également une

grande source de culture et un sujet de fierté nationale ( … ). Vendez ce que vous voulez, mais pas des objets provenant des musées… »

 

 

Il  flotte une petite odeur de soufre dans ( presque )  tous les Musées  du monde …

Je ne peux pas commencer ici un relevé de tout ce qui peut présenter une origine suspecte voire illicite dans les musées du monde, je n’en ai ni les compétences ni les connaissances, mais de nombreux exemples viennent immédiatement à l’esprit.

Les frises du Parthénon sculptées par Phidias, par exemple, qui sont au British Museum et  dont la Grèce réclame actuellement la restitution à la Grande Bretagne.
Mais aussi :  certains  chefs d’œuvre de la culture NOK qui sont au Musée du Quai Branly et qui ont défrayé la chronique il y a quelques années  lorsqu’ils étaient au Louvre car ils semblaient avoir quitté illégalement le Nigeria…

De grandes œuvres ont été offertes ( je ne parle donc pas ici de toutes celles qui ont  été volées ou spoliées pour fait de guerre par exemple -  les exemples foisonnent )  par des autorités locales ( de l’Egypte par exemple ) à Napoléon ou  à  d’autres ; elles n’ont été ni dérobées, ni détournées mais – dans le meilleur des cas - le donateur avait-il qualité pour déposséder l’Egypte de  ces richesses qui font à présent, au détriment du peuple égyptien ,  l’orgueil du Louvre , de la Place de la Concorde ou de la Piazza del Populo à Rome ?

 

Quantités d’œuvres importantes d’art africain ont été collectées aux XIXème et XXème siècles ( c’est le terme officiellement utilisé - et avec quelle hypocrisie ) par des missions belges, françaises ou allemandes et  font la fierté  des  musées bruxellois, parisiens ou berlinois…

Que l’on n’aille pas si loin : il y a quelques années, un mandataire communal  liégeois avait proposé la vente d’un tableau de Picasso que la Ville possédait pour trouver de quoi équilibrer  le budget…Il y eut débat, le projet fut refusé mais la proposition fut néanmoins faite !!!!

Et en poussant un peu plus loin, on peut dire que le caractère inaliénable d’une œuvre peut trouver une forme d'application lorsqu’il s’agit de la donner en location – ce que fait Le Louvre  actuellement  dans sa politique nouvelle de location en faveur de Musées  d’Arabie :  cette façon de «  faire de l’argent «  avec une œuvre d’art en la donnant en location ( opération qui n’est évidemment pas sans risque pour l’œuvre elle-même ) peut effectivement poser problème – et cette notion ‘ d’inaliéanabilité, au sens large, n’ en est pas tout à fait absente.

 

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 *  Elena A. Osokina est membre de l'académie d'Histoire de Moscou ;  elle contribue régulièrement aux "Cahiers Russes ".

      Elle cite dans son étude précitée une courte bibliographied'ourages en anglais et un en portugais.

 

 

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NB :   " ...M. Berlusconi avait été précédé à Benghazi par l'arrivée par avion militaire de la Vénus de Cyrène, magnifique statue sans tête du IIe siècle après JC découverte en 1913 par des archéologues italiens sur le sol libyen. Le chef du gouvernement italien doit la restituer, conformément à une décision de la justice italienne. Transportée dans une caisse en bois, la pièce a été accueillie par des youyous et des applaudissements à l'aéroport Benina de Banghazi. "  -  Journal LE MONDE, 3O août 08

 

Sur la question des négociations ou procès en cours concernant les restitutions d'oeuvres d'art entre pays,

voy. notamment :  http://yoshino.wordpress.com/2007/05/28/restitution-a-la-lybie-de-la-ven...

 

 

 

 

 

 

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