ESSAI SUR LE BRAME DES CERFS

ESSAI SUR LE BRAME DES CERFS

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70x70 - huile s/toile - 19 septembre 2009 - JVL

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Nous avons tous, à un moment ou à un  autre de notre vie, pensant déjà savoir que  le cerf bramait en automne, ce qui est déjà une erreur, pensé que le cerf bramait le soir, la nuit et le matin. Pour certains,  ce moment ou un autre aura duré la vie entière. Ce n’est pas très grave. Non, le cerf brame de la mi septembre à la mi-octobre environ, et ce du soir au matin mais, c’est comme pour le rossignol qui ne chante pas que la nuit, c’est la nuit que l’on entend le mieux. Enfin, entendait ( cf infra ).

Pourquoi du 15 au 15 ? Parce que sa durée d’activité sexuelle est d’un mois environ.

Tremblez,  pourfendeur de sexisme !   la duré de vie sexuelle de la biche, et donc ses appétits, dure d’une journée à une demi-journée. Cela s’appelle ne pas être gâtée  par la nature laquelle pourtant d'habitude se montre si généreuse..  Pensez-y si vous dites à quelqu’un qu’elle a des yeux de biche.

 

Tout ceci explique déjà beaucoup de choses.

 

Cherchez sur Google brame du cerf  et vous obtiendrez 79.000 résultats, la plupart des videos, et vraiment aucun article qui va vous éclairer vraiment. La plupart disent en d’autres mots , et parfois même pas : les reprennent, ce que disent les autres. Exemple : il y a 3 sortes de brame. Je passe. Autre exemple : pendant cette période, le cerf est agressif même envers les humains – je passe aussi, mais souligne le site de la Ville d’Arlon par exemple qui va qualifier d’ «  intrépides «  tous ceux qui du 15 au 15 vont s’aventurer dans les bois. Manière pour Arlon d’attirer les chalands en manque d’adrénaline et de décerner a priori la médaille communale du courage.

 

Tapez sur Google sexe, et vous aurez 41.500.000 résultats.

 

Tapez copulation du cerf et vous aurez «  n’est-ce pas population du cerf que vous cherchez « ?

 

Alors je vous livre quelques piste sérieuses, quelques réponses fiables. Je ne suis pas guide- nature, j’aurais voulu l’être, mais il m’arrive d’être sur le terrain, et d’ouvrir de bons livres.

 

Ce que vous pouvez oublier, même si c’est vrai – et ce l’est en l’occurrence mais c’est du people -   : les cerfs perdent jusqu’à 20 kg pendant cette période d’activité, dans le silence de la nuit les bois des cerfs qui se battent se heurtent dans un fracas assourdissant ( çà c’est inexact évidemment ) , les cerfs se blessent et meurent parfois d’épuisement d’être restés embroqués ( ce mot n’existe pas, mais il sonne si bien ).

 

En revanche, quelques  clefs plus sérieuses :  

 

Pendant l’année, les cerfs vivent entre mâles. Pas de femelles, pas de rejetons dans les sabots. Ils vivent ensemble de façon hiérarchisée : les jeunes font allégeance aux plus vieux lesquels les protègent  et les instruisent.

 

A l’approche du rut ( montée de la testostérone )  les dominants  vont rejoindre leur harde, c’est-à-dire les groupes de femelles lesquelles, avec leur jeune, vivaient séparément. Les autres cerfs, trop jeunes ( daguets ) ou trop faibles ou  trop moches vont errer plus ou moins seuls et viendront d’ailleurs tenter leur chance auprès des hardes dés que les vieux dominants seront fatigués , donc moins performants.

 

A ce stade, intervient une donnée curieuse, savoir que les cerfs, ou en tous cas certains d’entre eux,  qui se retrouvent  sans  femelles, peuvent parcourir de longues distances pour rejoindre les zones de rut  ( df p.ex. : http://www.weyrich-edition.be/fr/catalogue/auteur.php?A_ID=52 -  ,  Jean-Luc Duvivier de Fortemps, Seul parmi les cerfs, 2001 :  dans les grands territoires de chasse, les cerfs ont, d'instinct, des lieux de prédilection pour passer le rut, de même qu'ils en ont pour jeter leurs mues puis refaire leurs bois.

 

Cf également "Les habitudes du gibier" d'André Chaigneau,  Edition Payot, qui écrit :

« …il n’est pas rare de voir u cerf étranger venant de très loin pour monter les biches. Il s’agit souvent de mâles provenant de massifs pauvres en femelles ou trop riches en mâles et ne pouyvant se satisfaire, ces mâles font parfois, 50, 100 km et plus encore puis, satisfaits, reviennent au lieu de départ pour revenir l’année suivante… »

 

 

 

Il est  aisément vérifiable  - et une simple observation le renseigne  – que le brame se déroule toujours dans les mêmes zones ( par exemple, pour la Haute Ardenne, les lieux de brame, toujours les mêmes,  sont de 5 ou 6 ).  Mais il est vrai également ( je l’ai constaté, notamment ce 21 septembre 2009 ) qu’un cerf coiffé avec plusieurs biches  puisse reste dans une zone qui n’est pas une zone de brame, et que l’on peut ainsi dire qu’à tout le moins, tous les cerfs et biches ne vont pas tous vers les mêmes zones de brame répertoriées.

 

Dans les dites zones de brame, ( et certaines nuits  j’ai entendu jusqu’à 20 ou 30 cerfs  bramant tous azimuts ) , la densité de gibier est parfois fort élevée : biches et faons de l’année d’un côté, mâles de l’autre, chaque harde se déplaçant du reste dans les forêts ( mais restant semble-t-il dans un certain périmètre )  . Non seulement il est possible, en suivant le déplacement du bruit,  de  suivre le brame de tel cerf qui se déplace mais, avec un peu de chance et surtout beaucoup de persévérance et d’astuce  , on peut observer  de visu un groupe de biches et de faons évoluer dans la forêt de cache en cache et parcourir certaines distances, toujours  à proximité relative de leur mâle. Le b rame n’est donc pas un théatre statique d’acteurs plus ou moins  figés .

 

Au contraire : les animaux sont   extrêmement nerveux. Les biches sont farouches comme jamais, flanquées pour la plupart de leur jeune d e l’année qui a alors la taille d’un chevreuil.

Et les cerfs doivent être dans un état d’hystérie :  ils doivent tout à la fois protéger leur harde de départ, essayer de  conquérir l’une ou l’autre  biche supplémentaire,  défendre  ses biches contre  les cerfs errants qui n’ont pas de harde et, bien entendu, saillir à la demande, c’est-à-dire chaque fois que nécessaire ( et cela doit parfois aller très vite puisque la période de fécondation de la biche peut être d’une demi-journée seulement )  - tout cela en bramant sur tous les tons , sans prendre le temps ou presque ni de boire ni de manger ni de dormir…Autant dire que lorsque commence la chasse  (1 ) , à la fin du brame, les cerfs sont plutôt efflanqués…quand ils n’ont pas leurs bois cassés, un œil borgne, et des blessures qui cicatrisent toujours…

 

J’oubliais deux choses : la bagarre et la chandelle.

 

La bagarre, c’est le choc des mâles qui se ruent l’un sur  l’autre ; avant d’en arriver à cet affrontement viril, il leur arrive de se poursuivre sur quelques  dizaines de mètres, ; ils s’observent, se hument, évaluent… Il paraît qu’après le combat,  le vainqueur pousse  un brame qui est le plus beau de tous, le brame du vainqueur, avec à la clef toute la harde à couvrir…mais rien n’est moins sûr car une heure plus tard, un jour après, deux jours ou plus, peuvent arriver d’autres cerfs errants qui viendront le défier dans le même but,  ou encore d’autres dominants qui cherchent à acquérir quelques biches voire une harde supplémentaire.

 

Le vaincu, comme pour  les vaches d’Evolène  ( Valais suisse ) , est celui qui se détourne, s’en va.

Mais avant cela, le choc des bois : ce bruit, entendu dans le silence de la nuit, que j’ai pu entendre  il y a quelques jours venant de l’intérieur d’un boqueteau d’épiceas    à quelques dizaines de mètres de moi, est indescriptible. Les bois quand ils s’entrechoquent – et le choc est violent, on perçoit bien cette violence -  forment un bruit sourd assorti d’une légère musicalité plus douce et d’une douce résonnance. Et surtout l’on devine : l’on devine entre deux chocs,  dans  l’intervalle  mort qui suit, les deux animaux qui reculent, suant et soufflant,  se jaugeant encore, baissant la tête et fonçant à nouveau l’un sur l’autre.

Le dernier combat que j’ai entendu très clairement dans la nuit a duré plus d’une minute et moins de deux ; pendant ce temps, je voyais dans le contre-jour du soleil finissant, quelques-unes des biches de la harde, à quelques dizaines de mètres du combat qui curieusement semblaient peu concernées puisqu’elles broutaient .

 

 

La chandelle, enfin.

C’est cette curieuse et spectaculaire ruade que fait le cerf pour se dégager de la biche lorsque l’accouplement est terminé ; bien souvent sous la violence de cette ruade, la biche est projetée vers l’avant.

Raison de cette ruade ? Mystère. Que les biologistes peut-être ont déjà percé, s’il s’agit,  par exemple, d’une particularité anatomique chez l’un ou l’autre qui oblige pour le descellement un coup  de rein aussi violent. 

 

La biche est considérée comme l’animal incarnant la douceur ( Walt Disney…) et l’innocence martyrisée – ceci est peut-être expliqué par cela, mais en ce cas, est-on si sûr que la chandelle soit une épreuve douloureuse pour elle ? N’est-ce pas faire vite en appliquant aux animaux des données  explicatives purement humaines ?

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Le cerf est un animal mythique : déjà représenté au paléolithique ( Lascaux, pour ne citer qu’elle )  et de manière ininterrompue jusqu’au néolithique où le cerf est ramené schématiquement à un rectangle sur pattes sommé d’une courbe elle-même barrée de hachures horizontales censées représenter la ramure

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cueva  de rosa - oxyde de fer - photo jvl

, puis le général romain Placide qui deviendra St-Eustache, puis plus près de nous Hubert qui deviendra St-Hubert …

 

 

 

 

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En réalité, et c’est scandaleux, sauf à considérer qu’il s’agit alors de tirs bien ciblés, des tirs de sélection en quelque sorte , la chasse au cerf a déjà commencé lorsque le rut commence : cf  Arrêté  du Gouvernement Wallon  , 

Art. 4.

Les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse à tir à l'espèce cerf sont fixées comme suit :

1° cerf boisé :

a) à l'approche et à l'affût : du 1er octobre au 31 décembre. Toutefois, la chasse à l'approche et à l'affût du grand cerf portant à chaque perche un minimum de trois andouillers au dessus de l'andouiller médian est autorisée dès le 21 septembre;

b) en battue et au chien courant : du 1er octobre au 31 décembre;

 

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Commentaires

Bonjour,
Vous écrivez " Tremblez, pourfendeur de sexisme ! la duré de vie sexuelle de la biche, et donc son appétit, dure d’une journée à une demi-journée. Cela s’appelle ne pas être gâtée par la nature. Faites donc attention avant de dire de quelqu’un qu’elle a des yeux de biche. "

C'est vrai que l'oestrus ne dure qu'une à une demi-journée.
Mais il faut tout de même noter que les biches restent en chaleur pendant un mois. Et pendant cette période, elles se seront parfois fait couvrir plusieurs fois par le cerf ( on dit alors qu'il la dague ), voir par les plus jeunes lorsque le dominant sera épuisé et déjà rentré au bercail.

Bonjour !

Je suis profondément intéressé par tous ces renseignements passionnants que vous fournissez dans votre article. Je viens de dessiner un cerf dont vous pouvez découvrir les étapes évolutives d'avancement du dessin sur mon blog. J'accompagne chaque évolution de mon dessin par des renseignements "didactiques" et j'aimerais, avec votre accord, et en mentionnant leur source, votre site, publier un article fortement inspiré de tout ceci : m'y autorisez-vous ? Je brûle d'impatience de lire votre réponse.

Bien à vous,

Jean-Claude VINCENT

eh bien merci pour ce beau commentaire. Votre texte est très drôle. Enfin, c'est surtout l'histoire de la bataille pour la femelle qui m'a fait rire.
j'ai aperçu, voilà peu, dans un bosquet de Tournai, en plein centre ville, un cerf blanc.
je fus surprise, déjà par l'animal en ville, et par sa couleur aussi.
salutations

Et bien, voilà... j'avais eu - et j'en suis fière - la primeur de votre article verbalement....J'avais lu, il y a très très longtemps "la dernière harde" de Genevoix mais il était loin d'être aussi précis et ausi vivant que vous dans ses explications sur la vie sexuelle et les moeurs des cerfs ...Et puis, il lui manquait aussi la petite touche humoristique qu'on sent pointer à travers les mots et les commentaires !!! en tout cas, ça ne m'avait pas marqué autant... c'est peut-être parce que je connais l'auteur personnellement !!!! Que je sais que ses sources - outre les "bons" livres - sont bien évidemment du vécu.... ça rend la narration d'autant plus passionnante !