Picasso et Malaga

Picasso et Malaga

 

Depuis relativement peu de temps, Malaga a compris le parti qu’elle pouvait tirer de Picasso, qui y est né et y a passé sa prime enfance.
En octobre 2OO3 s’ouvrait en grandes pompes, en présence du Roi, le Museo Picasso.
La maison natale de Picasso fait désormais partie des circuits recommandés, l’un des paseos maritimos de Malaga porte son nom, et un peu partout dans la ville de très grands panneaux de tissus reproduisent les tableaux célèbres du peintre, dont les Demoiselles d’Avignon ( qu’ont-elles à faire là ? ) et une vue de Cannes entre autres…

Picasso, c’est vrai, n’a rien peint de Malaga, ni d’Andalousie.

C’est vrai qu’il quitta très tôt le pays de sa naissance…mais est-ce une explication suffisante ? Il aimait l’Espagne pourtant et il a semble-t-il toujours gardé pour elle un attachement très fort . Il avait exporté avec lui en Arles ou à Nîmes l’amour-passion de la corrida, il peignit le Nord de l’Espagne : Hurta de San Juan, Gosol…Mais rien, sauf erreur, ni sur Malaga, ni sur l’Andalousie.

Collons à la vérité historique : à l’âge de 10 ans, il part avec sa famille à la Coruna, extrême Nord de l’Espagne ( Nord Ouest qui plus est ) où son père, prof de dessin, a obtenu un poste ; reviendra à Malaga en famille pour les vacances d’ été, puis repartira dans le Nord, Barcelone cette fois où son père a obtenu un noveau poste, et où pour lui les choses sérieuses vont commencer, et puis Paris, en 1900 alors qu’il a 19 ans.

Je me pose depuis longtemps la question des racines profondes de Picasso, et particulièrement la question de savoir s’il a de vives et réelles racines andalouses. Je dis andalouses et non pas espagnoles, parce que d’une part Picasso est né et a grandi en Andalousie de parents tous deux andalous, et d’autre part parce que l’Andalousie est une terre forte, très marquée ( donc marquante) ,dont la culture et la tradition sont très vivantes, culture métissée ( l’art mudéjar est par essence métissage, et le Flamenco – dont cependant les origines sont discutées - l’est sans doute aussi de même que, c’est une tautologie, la musique arabo-andalouse).

Il faut bien entendu éviter les clichés stupides : oui, Picasso est bien andalou par son côté macho, son amour des toros, son regard noir que ses amis photographes ont su si bien exploter…Je connais bien des belges, wallons surtout, et des français aussi, qui correspondent à ce profil caricatural et qui n’ont jamais mis les pieds en Andalousie.

Il y a un an environ, au Musée Picasso à Paris, fut montrée une exposition « Picasso et Carmen « , Carmen étant l’archétype, surtout pour les gens du Nord que nous sommes, de la femme andalouse, virevoltante, féminine et passionnée…Mais, j’ai ressenti surtout, en parcourant cette exposition, l’allusion au mythe plutôt que l’illustration d’une réalité.

Tout petit enfant, il est établi que Picasso était conduit aux Arènes par son père, lequel passait pour un véritable aficionado.

La passion de Picasso pour les toros et les corridas est réelle et l’a nourri pendant toute sa vie, personne ne la mettra en doute, et il est intéressant de lire ce qu’en dit par exemple son épouse Françoise Gillot *.

Mais cet élément – que d’autres, qui ne sont pas nés en Andalousie, peuvent partager tout autant , et qui d’autre part peut être commun à toute l’Espagne et non à la seule Andalousie même si c’est là que serait née la tauromachie et qu’elle y prend, c’est vrai, un tour tout à fait spécial - n’est pas suffisant pour expliquer, illustrer ou justifier l’existence ou non de racines andalouses.

Cette question qui reste pour moi sans réponse m’a poursuivi pendant mon dernier séjour à Malaga cet hiver , et j’ai ressenti avec un certain embarras les tentatives faites par la Ville de Malaga pour y faire vivre ou revivre la présence de celui qui, peut-être, ne s’y est jamais senti chez lui : j’ai parlé plus haut de cette espèce de campagne d’affiches géantes reproduisant des toiles de Picasso qui n’ont aucun lien ( ! ) avec Malaga, de la mise au devant de la scène de sa maison natale, et de son Musée, Musée que Picasso lui-même aurait voulu ( ? ) - rappelle un texte gravé sur les murs d’entrée.

Le Musée Picasso n’a que 4 ans ; il est abrité dans le très beau Palacio de Buenavista qui date du XVIème siècle, lequel a été agrandi à l’arrière ( il faut en effet aller vers le teatro romano, juste derrière, pour apprécier les beaux volumes de la construction moderne qui prolonge le Palacio et abrite les expositions temporaires ).

A l’intérieur, l’on est frappé par deux choses : la monacalité absolue des murs blancs des halls d’accueil, caisse, vestiaire et patio lui-même lesquels préparent ( ce fut en tous cas à la fois mon ressenti et mon attente ) ou devraient préparer à l’explosion des formes et des couleurs que l’on imagine imminente, et d’autre part, l’absence totale, dans les salles d’exposition elles-mêmes, d’ouverture et d’utilisation de la lumière naturelle.

La lumière de Malaga, la lumière d’Andalousie, la lumière du Sud, la lumière, justement, de l’enfance de Picasso.
Absente, chassée, bannie.

Que l’on n’objecte pas que, justement, c’est parce qu’elle est trop vive qu’elle ne peut être utilisée : il existe évidemment, et je ne suis pas architecte, quantité de façon de la réduire, l’adapter, la domestiquer, pour qu’elle donne là le meilleur d’elle-même, à tous moments du jour et des saisons, et qu’elle participe, en quelque sorte, à la couleur locale…

Il y a beaucoup à dire sur l’Andalousie, sa lumière et la façon dont les andalous ( les Sévillans surtout ) la fuient et la combattent, désemparés qu’ils sont quand le soleil ne brille pas mais s’ingéniant, quand il est là, à le combattre…et ce n’est pas seulement pour la chaleur dont la lumière est souvent synonyme, c’est plus compliqué que cela…compliqué au point que les andalous s’en défendent farouchement et donnent d’ailleurs des explications simplettes dont un enfant – me semble-t-il – pourrait lui-même percevoir l’ineptie.

J’y reviendrai sans doute un jour.

Le Musée Picasso donc : le fond permanent contient exactement un total de 15O oeuvres, provenant de la donation de sa belle-fille  Christine, et du fils de celle-ci Bernard.

15O œuvres comprenant aussi des gravures, dessins, céramiques, et quelques peintures : quelques œuvres vraiment mineures, quelques-unes sans beaucoup d’ intérêt, et quelques chefs d’œuvre ( ( ( Suzanne et les vieillards, 2 dessins de femme nue allongée, une série de 5 dessins guéridon et guitare ).

Actuellement, et jusqu’au 28 janvier 2008, exposition « Picasso – objet et image «

qui illustre la relation qu’établit l’artiste , par son regard et par son travail, entre l’objet et l’image que l’objet peut donner ( revoir ici dans ce blog « le ready-made d’Ardalès…). L’on y voit des pièces sortant de collections privées ( le bronze de la femme enceinte, 1er état ; le buveur d’absinthe de 1914… ), des céramiques, une peinture sur une brique de construction, des études sur l’amphore-femme, des linos… bref un univers ludique, hétéroclite , sensible , jamais chaotique, attachant, surprenant, déroutant, salutaire…

En cherchant Picasso dans Malaga, je l’ai plus trouvé, m’a-t-il semblé, sur les gradins vides de la Plaza de Toros ( la Malagueta ), dont on a une vue plongeante, émouvante et très impressionnante depuis le belvédère situé dans la colline en face, à côté du Parador, que partout ailleurs : quelques pigeons, au soir tombant, volaient en cercle au-dessus de la Plaza vide, et assis sur les gradins déserts, face à l’arène de sable jaune et froid, un petit garçon qui les regardait battre des ailes.

 

 

Françoise GILLOT, vivre avec Picasso, éd.10/18, p. 243 et svtes : « …pour lui, la définition d’un parfait dimanche était celle du dicton espagnol : messe le matin, corrida l’après-midi, bordel le soir. Il se passait sans difficulté de la première et la dernière partie du programme, mais les courses de taureaux étaient une de ses plus grandes joies «

 

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jadore