SCENE A DEUX PERSONNAGES
SCENE A DEUX PERSONNAGES
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La scène à deux personnages, telle qu'elle est présentée au Musée d'Aquitaine à Bordeau.
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Il s’agit d’une gravure pariétale remontant au Gravettien ( env. -29 à – 20.000 ans BP ) obtenue par piquetage.
Elle fut découverte à LAUSSEL ( Dordogne ) en 1911 pratiquement en même temps que la Venus à la Corne dont question dans le post précédent.
Cette scène est gravée sur un bloc, lequel s’est sans doute détaché de la paroi : il s’est détaché avant ou après qu’il ait été gravé ? La question a toute son importance, comme on le verra ci-après - elle est même pour moi, dans ma tentative d’interprétation, tout à fait primordiale.
Si le bloc a été gravé sur la paroi, le sens ( haut et bas ) n’est pas discutable .
Encore que.… - ainsi qu’on le verra infra.
Si la bloc a été gravé après s’être détaché, rien ne permet de savoir à coup sûr où se trouve le haut et où se trouve le bas du motif gravé par le sculpteur.
Il existe en ca cas ipso facto une liberté de regarder le bloc dans un sens ou dans l’autre, en le faisant pivoter à 180 °, bref en lui mettant la tête en bas, même si on ne sait pas exactement où est la tête.
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Que montre cette scène ?
Apparemment deux personnages figurés tête-bêche associant une figure que l’on tient communément pour féminine et, à l’inverse, un buste plus sommaire.
C’est là la définition officielle donnée par le Musée d’Aquitaine de Bordeaux qui héberge le chef d’œuvre, relayant en cela l’acception donnée par le monde scientifique.
Que l’on y voit un buste manifestement féminin ne pose guère de doute.
Mais que l’on prétende sans réserve qu’il s’agit d’un tête-bêche me laisse pantois.
Un motif dans le style des cartes à jouer, gravé au Gravettien ( env. 25.000 ans d’ici ) , requiert une faculté d’abstraction peut-être inédite à cette époque, sans doute inédite, puisqu’il s’agirait là de la représentation d’un motif purement construit, que la réalité ne livre pas comme tel, bref que l’esprit humain doit inventer et construire préalablement à son exécution. En d’autres mots encore, les têtes-bêches ne se promenant pas à l’air libre, même au Gravettien, le sculpteur a dû faire un curieux exercice mental avant de se mettre à l’ouvrage, pour livrer ensuite aux siens médusés ( les contemporains de Picasso le furent moins lorsqu’il leur présenta ses Demoiselles d’Avignon ) un motif incompréhensible, l’œuvre d’un fou, œuvre qui cependant, on doit bien l’admettre en la contemplant aujourd’hui, ne fut pas détruite mais laissée au vu de tous…
Curieuse aventure.
Elle est évidemment extrêmement alléchante cette idée d'un l’artiste qui, en ces temps reculés proprement inimaginables , 1/ ait réussi l’exploit tout à la fois intellectuel 2/ puis artistique de créer une telle scène purement imaginaire, 3/ puis de l’imposer à sa communauté. C’est BRETON je pense, l’ami de PICASSO, qui a dit qu’il avait craint retrouver PICASSO pendu derrière ses Demoiselles d’Avignon tant avait été grande pour lui la désillusion née de l’incompréhension de ses proches.
Lorsque je peins, je mets le chassis successivement sur ses quatre côtés, le faisant ainsi tourner au gré du rythme de la construction, jusqu’à ce qu’il tienne et se tienne sur chaque face. Cela m’amène en général à trouver des correspondances et des liens ( chacun expliquant et enrichissant l’autre ) entre lignes, masses et couleurs, et doit en principe contribuer à l’équilibre de l’ensemble.
J’ai donc mis la Scène tête en bas à 18O degrés par rapport au sens montré dans le Musée et dans les livres où la gravure est reproduite , et là, surprise, c’est un personnage féminin, et un seul, qui apparaît.
Jugez-en :
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Tête, cou creusé, seins lourds, pointus et moins ptosiques que ceux de sa sœur de Laussel trouvée à quelques mètres d’elle.
Vue ainsi, cela ne semble faire aucun doute : la scène tête-bêche tellement impossible disparaît totalement au profit d’une figuration répondant aux archétypes en vigueur ( et quelle vigueur…) alors.
Cette thèse cependant n’est tenable que si la sculpture fut réalise sur le bloc détaché de la paroi – dans le cas contraire en effet, on peut difficilement imaginer que le sculpteur ait réalisé son œuvre perché sur la paroi tête en bas.
Quoi que...cette hypothèse-là elle-même est tenable : j’ai perdu les références précises, mais nombre de gravures, dans des grottes, se présentent à l’envers, la plupart située à hauteur d’homme mais certaines ( des bisons à Font de Gaume ? Je ne sais plus ) bien au-dessus de la taille humaine si bien que pour les réaliser le sculpteur a dû s’accrocher en hauteur et travailler la tête en bas.
Mais enfin, dans le cas qui nous occupe, si l’on peut donc théoriquement accepter le fait que le sculpteur ait pu graver la Scène la tête en bas sur la paroi-même, puisque la chose se faisait alors, on se retrouve devant le mystère du sujet ( une scène tête-bêche ) tel qu’évoqué ci-dessus ( comment imaginer au Gravettien la conception, puis la réalisation, puis l’acceptation par tous ensuite de l’œuvre ).
Toutes ces difficultés d’explications sont évacuées si l’on peut retenir l’hypothèse que le sculpteur a sculpté directement un personnage féminin et non cette scène à deux personnages , et ce parce que le bloc était déjà détaché de la paroi lors du travail , ce qui lui permettait de sculpter un motif qui était à 180 degrés de celui que l’on prétend trouver aujourd’hui devant ce même fragment de paroi.
Question : bloc déjà éboulé ou sculpture sur la paroi ?
On sait que les fouilles à LAUSSEL furent réalisées par le dr LALANNE de Bordeaux, ou plus exactement en ses absences fréquentes, par ses ouvriers lesquels ne tenaient pas de journal de fouille.
La Scène fut la 1ère découverte sur le site de LAUSSEL, avant la Venus à la Corne, entre mars et avril 1911. Dans sa 1ère publication, le Dr LALANNE écrivit qu’elle provenait de l’assise inférieure du Solutréen, càd vers le milieu de l’abri où sont localisées les deux couches solutréennes. Par la suite, il a dit que la Scène provenait des éboulis sur lequel reposait la couche solutréenne.
La Venus à la Corne a été trouvée un peu plus tard gravée sur un énorme bloc de plus de 4m3 éboulé au pied de la falaise ; la partie sculptée, qui faisait environ 54 cm, a été sciée sur place pour être transportée à Bordeaux ( voir le précédent post sur ce blog ).
Rien de tel pour la Scène qui nous occupe : je n’ai rien trouvé en tous cas ( recherches sommaires il est vrai…) qui plaidât pour une opération tant soit peu similaire, avec sciage d’un gros bloc où se fut trouvée gravée la Scène.
Il me semble donc raisonnablement acquis que la scène a été trouvée sur un bloc de petite dimension, parmi les éboulis - pour reprendre les termes exacts utilisés par le Dr LALANNE .
Ainsi , tout est simple et clair : nous avons ici sous les yeux non cette scène tête-bêche qui graphiquement constituerait une avant-garde plastique de plus 20.OOO ans qui est proprement inimaginable parce que rompant avec tous les codes prévalant alors , mais tout simplement un personnage féminin sculpté au Gravettien sur un bloc éboulé …
Introduisant un subtil changement d’angle de vue - ah ce si précieux procédé qui nous fait à nous dans la vie quotidienne déjà si souvent défaut - LEROI-GOURHAN a très finement suggéré que le second personnage aurait été introduit dans la scène plus tard et qu’en quelque sorte cette œuvre aurait été sculptée en deux fois.
Que n’a-t-il été plus loin, alors que ce faisant comme il l’a fait, il avait accompli le plus difficile : sortir de l’idée d’un tête-bêche et décomposer la réalisation en deux temps chronologiques, ce qui rejoignait d’ailleurs une manière de faire bien connue consistant à revenir sur un élément déjà gravé pour y ajouter d’autres éléments au fil des temps.
Une fois brisé comme il le faisait le carcan de la vision imposant le tête-bêche, LEROI-GOURHAN n'aurait-il pu songer à donner au bloc 180 °, et n'y aurait-il pas vu alors ce qu'il s'imposait de voir : un personnage féminin bien de son temps ?
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