Les draps du peintre
Les draps du peintre
Rédigé par jvl le dim, 05/10/2008 - 14:12
Il me faut expliciter un article précédent intitulé " peindre " où je me contentais d'un résumé lapidaire " peindre, c'est se mettre dans de sales draps, pour pouvoir les blanchir.
Se mettre dans de sales draps.
Zao Wou-Ki : ...le pinceau sert à faire sortir les choses du chaos...
Rothko : ...pas un seul centimètre de mes toiles qui ne soit le lieu ( ou le résultat - je cite de mémoire ) des combats les plus âpres
J'ai choisi à dessein deux exemples parmi des peintres que l'on a tendance à qualifier de " sereins " ou d'éthérés...quelle illusion dans ces raccourcis !
Je pense que les peintres, depuis toujours mais à des degrés divers, se mettent dans de sales draps : j’entends par là que mettre de la peinture sur la toile, s’efforcer de l’organiser, ajouter, retrancher, remplacer, faire des choix sans cesse, hésiter, foncer, ne rien sentir, trop sentir, craindre, envier, chercher, trouver et ne pas trouver, avancer, reculer – bref ce qui équivaut à sortir quelque chose du néant, c’est-à-dire mettre quelque chose dans le monde réel là où il n’y avait rien ( en tous cas, pas cela ) - , organiser encore les couleurs, les masses, les rapports, faire taire, faire parler, orienter, refuser d’orienter – et cette préoccupation permanente qui est de donner du sens - : oui, peindre c’est se mettre dans de sales draps, avancer en terrain inconnu, fabriquer des impasses au point qu’à certains moments on se demande si on est capable de faire autre chose que des impasses, trouver le point de lumière quelque part – enfin - , entendre tout d’un coup cette petite note qui quelque part s’élève enfin – comme dans un film où sait alors que le dénouement approche - , se tromper encore une fois, repartir à zéro ou – pire encore – moins qu’à zéro car souvent la toile blanche est préférable, et de loin, à cette toile désorganisée qui coince de partout…
Oui, peindre c’est se mettre dans de sales draps…
Si ce n’est,
Et ce si ce n’est fait toute la différence,
Si ce n’est donc que l’on sait qu’il y a quelque chose quelque part,
Quelque chose d’innommable, au-delà du contingent, au-delà de soi,
Et que, tôt ou tard, parfois en quelques minutes, parfois en un an ( il y a des tableaux que je considère comme achevés et auxquels je ne toucherai jamais plus, et qui se sont imposés en dix minutes, mais il y en d’autres qui prennent un an, deux ans, plus parfois et qui n’en finissent pas de balbutier ) « la chose « va se manifester, les draps vont blanchir, le chaos va s’organiser, l’équilibre va poindre – fil après fil après fil – et va se tisser sans plus d’anicroche, cette chose qui vous met dans la certitude tout d’un coup lumineuse, les gestes qui tombent juste, la sûreté dont vous êtes le premier surpris et qui dans d’autres lieux, d’autres circonstances serait à fuir…
Se mettre dans de sales draps pour pouvoir les blanchir, mettre dans la lumière, rendre net,
l’odeur du savon,
le blanc qui respire – plus blanc que blanc.
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Commentaires
Une peinture pleine d'expression avec un esprit de recherche, félicitations !
Je me suis mise dans un drap de noir, ainsi, je révèlerai la lumière.
En lisant votre article, au fond très salutaire parce que très réactif, je pensais à Lermontov, installé dans son lit, au moment de mourir, s'adressant à ses amis:"Je vous laisse dans de sales draps!".Article coup de poing en tout cas.Après l'éventuel K.O, le lecteur peut encore songer à l'intransigeance d'Artaud.A bientôt!François