TOSTADA
TOSTADA
Devant vous, sur une soucoupe, la demi tranche de pistolet grillé ; des lambeaux de jambon en sortent, quelques bribes rouges de tomate écrasée.
Il ne vous faut pas longtemps pour vous rendre compte qu’il est nécessaire de retirer de sous le pain grillé la petite serviette de papier qui y a été glissée : ce ne peut être elle, en effet, qui doit recueillir l’huile d’olive qui va s’échapper. Et ce n’est pas parce que la petite cruche à long bec en fer blanc est posée là tout près sur le comptoir, à discrétion, et que vous allez pouvoir vous en servir - sans trop attendre car le pain pourrait refroidir - qu’il faudrait laisser le papier jouer les éponges. Justement.
Plus tard vous vous rendrez compte que la tomate, si parcimonieusement présente sur votre pain sous le jamon , n’est pas là pour la couleur mais pour la touche d’acidité légère qui va sous votre palais exalter la présence du jamon, exhausser son sel discret et sa saveur surtout ( une saveur de noisette et de chiffon ancien ).
Vous en aurez la confirmation silencieuse lorsque seul chez vous, vous croirez pouvoir faire tellement mieux et que vous utiliserez la tomate tout entière que vous aurez coupée en fines tranches et dont vous aurez fourré le pain que vous venez de griller : erreur…erreur…trop de tomate tue la tostada, détruit la fine vertu que détiennent seuls quelques petits morceaux comme ceux, justement, parcimonieusement disposés par le camarero que vous avez voulu défier.. .
Il en sera de même avec le jamon : vous aurez acheté au marché, après avoir bien observé le marchand et l’avoir interrogé sur la provenance de ses paletas et après vous être assuré qu’il les tranche comme il convient, vous aurez donc acheté pour le prix de trois places au cinéma un quart de kilo de ce précieux jamon, l’aurez déballé en rentrant chez vous, l’aurez laissé prendre la température, l’aurez couvé des yeux…puis croyant faire juste bombance, vous l’aurez en quantité mis sur votre pain grillé, une débauche de jamon, beaucoup, la tostada du siècle, le péché tellement mortel qu’il en sent la dose létale de cholestérol …et l’horreur se produit : cette tostada est trop, mais surtout elle manque…manque de gout, de finesse, de cette petite alchimie que donnent seuls la pincée de tomate fraîche, sa fine et impalpable acidité, et le faible sel de quelques petits lambeaux de jamon .
Small is beautifull…
O rage…ce peuple de quelque démesure serait-il aussi maître de la mesure ?
Ce peuple qui ne répond mais conteste, n’est pas malade mais infirme, n’inflige pas la défaite mais la déroute, n’allume pas la lumière mais l’ incendie, serait-il celui qui a compris la vertu incomparable des petites mesures ?
Que nenni, voilà l’huile qui coule, le papier retiré, la burette en action, et d’huile – jamais trop, jamais…
Commentaires
Ah tu nous fait saliver! Et rire!
"La mesure est le bien suprême" disait Eschyle!.....mais "La perfection du palais buccal est l 'apanage des hommes d'esprit"selon Léon Daudet.....